Jeux d ecriture 9: voyage

L'homme frappa la table de son poing, ce qui fit sauter toutes les peintes de bière qui s'y trouvaient. Il se frappa le torse et laissa échapper un rire bruyant et grave.

-Laisse moi rire je ne te crois pas.

Sa voix, grave et rauque, respectait en tout point son anatomie. L'homme était un géant, une montagne de muscles, une bête au sang chaud à la crinière cuivrée. Il portait une longue barbe nattée et de nombreux bijoux en or dans ses cheveux qui cliquetaient à chacun de ses mouvements. Face à lui, se trouvait un jeune homme de moindre envergure qui ne semblait pourtant rien lui envier en charisme et en prestance. Il jouait avec sa peinte de bière encore pleine de mousse et ne regardait pas son interlocuteur.

-Et pourtant c'est vraiment ce qu'il s'est passé Ryg'h. Tu l'aurais vu, ce regard... Brrr à glacer le sang! J'aurais du réfléchir à deux fois avant de m'en faire un ennemi!

Le jeune homme plongea finalement ses lèvres dans le liquide chaud et esquissa une grimace avant de lever la tête. Il portait lui aussi une multitude de bijoux en argent dans ses longs cheveux bruns et coiffés avec adresse tel des cheveux de prince. Ses doigts disparaissaient sous de nombreuses bagues, et son cou sous une grosse fourrure beige qui lui caressait le menton.

-Tu ne me crois vraiment pas?

Ryg'h hocha vivement de la tête et laissa échapper un petit rire moqueur.

-On parle bien du même homme? Non parce que... C'est quand même le prince! Et tu me dis l'avoir provoqué en duel parce qu'il s'est moqué de toi? Serais-tu devenu fou? J'imagine bien la scène: le petit Asgeir devant le grand prince son altesse en personne qui lui envoie un chapelet d'injures parce qu'Elle n'a pas été suffisamment respectueuse!

-C'était de la légitime défense Ryg'h! Qu'est-ce que tu aurais fait à ma place? Tu aurais sauté dans le tas?

-Je me serais excusé et j'aurais décampé oui! Tu as bien eu de la chance d'avoir simplement été humilié de cette façon!

-Humilié? Simplement... HUMILIE?

Asgeir se leva. Le vacarme assourdissant de la taverne cessa soudainement et tous les regards se tournèrent dans sa direction. Le jeune homme posa son pouce sur sa poitrine et leva la voix.

-Asgeir peut il supporter d'être humilié?

Long silence. Ryg'h poussa un profond soupir avant de finir son énième peinte de bière. Asgeir resta dans cette position un long moment avant de reposer la question, encore plus fort. Soudain, toute la taverne se mit en branle, et une vague de "non" suivis de "hourras" s'abattit sur le bâtiment. Le jeune homme jeta un clin d'oeil assuré à Ryg'h et se rassit tranquillement.

-Humilié moi? Se moqua ce dernier.

Le grand guerrier allait attraper une nouvelle peinte lorsqu'une main puissante l'arrêta. Il leva la tête avant de déglutir et de se reculer précipitamment. Asgeir, qui était encore dans ses pensées ne remarqua pas tout de suite qu'ils n'étaient plus seuls.

-Avoue que j'avais raison...

Devant l'absence de réponse de son ami il leva la tête. Il ne s'était pas non plus rendu compte du silence ambiant qui régnait dans la taverne depuis quelques secondes, des chuchotements qui s'élevaient par-ci par-là, et du raclement puissant de la chaise de Ryg'h. Il déglutit et se leva, attrapa le grand guerrier par le bras et disparut hors de la taverne, faisant dos à ceux qui étaient venu le voir. Ryg'h le força à le lâcher et jeta un regard derrière lui.

-Mais ça va pas la tête? Une fois ça ne t'as pas suffit?

-Asgeir ne se fait pas humilier, il est fière comme ses ancêtres et ne respecte pas la hierarchie de ce peuple qui n'est pas le sien.

Sur ces mots le jeune homme se frappa les deux joues de la paume de sa main et embrassa le petit tatouage circulaire sur lequel figurait un dragon se mordant la queue qui ornait son avant bras. Ryg'h, toujours aussi mal poussa un profond soupir qui se voulait aussi agacé qu'ennuyé.

-Ecoute Asgeir, on est comme des frères tous les deux, on se connait trop bien pour se cacher quoi que ce soit... Je pense la même chose que toi... (Dit-il en embrassant le tatouage de son avant-bras après s'être frappé les deux joues) Mais si tu es un Prince dans notre pays, ici tu n'es rien! Les gens t'aiment parce que tu es charismatique, parce que tu as un accent étrange, parce que tu es... Différent et attirant! Mais... C'est tout, ils ne savent pas qui tu es vraiment... Les lois de ce pays s'appliquent sur toi ici! Si tu continues, c'est la mort pour nous deux... Tu comprends?

-Ne devais-tu pas m'accompagner pour être mon garde du corps Ryg'h? Mourir pour moi si nécessaire?

-Sauver nos deux vies permettera de sauver la tienne imbécile!

Asgeir voulut répondre, mais il fut interrompu par un individu qui venait de sortir de la taverne. Plus grand que Ryg'h (qui n'avait pourtant rien à envier à personne), il représentait le pouvoir impérial. C'était une de ces forces de la nature que rien ne pouvait arrêter: des bras énormes, un dos colossal, et des cornes terrifiantes sur la tête. Les minotaures étaient assez rares dans ces régions glacées et forçaient le respect.

Le minotaure s'arrêta un instant pour humer l'air ambiant. Il faisait nuit, mais les torches enflammées sur la devanture du bâtiment ainsi que la lune presque pleine permettaient d'y voir clair. La chimère posa son regard sur Asgeir et s'approcha de lui. Ses gros sabots fendus soulevaient la poussière du chemin dur et claquaient contre la terre sèche. Lorsqu'il parvint à son niveau, il cracha sur le coté et s'essuya le museau de ses grandes mains musclées.

-C'est toi le p'tit emmerdeur qui a fait chier Son Altesse hier?

-En français: Oui c'est moi qui ait provoqué votre Prince en duel hier, en effet. Que me voulez-vous?

Ryg'h déglutit. Il ne savait pas ce qu'il allait se passer et était pris dans un dilemme agaçant: S'il s'interposait, les deux partis risquaient de le prendre mal et il se fera rosser par le minotaure (Une de ces choses qu'il n'aimait pas croiser sur les champs de bataille). Mais ce que lui réserverait Asgeir serait alors encore pire. D'un autre coté, il était le garde du corps du Roi, enfin... Du Prince en l'état actuel des choses... Que devait-il faire?

Le minotaure posa sa main sur l'épaule d'Asgeir et poussa un grognement.

-Le Prince veut te parler, il t'attend là dedans.

Ryg'h esquissa une grimace et lança un long regard à Asgeir qui accepta la demande de la chimère sans même réfléchir. Tandis que le minotaure le menait jusque dans la taverne, il lança un geste de victoire à Ryg'h et lui demanda de se presser. Le guerrier commençait à ressentir de désagréables sueurs froides le long de son dos. Mais il s'exécuta sous la demande du prince. Lorsqu'il entrèrent à nouveau dans la taverne, il régnait un silence de mort. Le prince trônait, fier et sur de lui assit devant une table ronde aux cotés de deux autres chimères à tête de bovidé.

Il se leva lorsqu'il aperçut Asgeir et le laissa s'avancer jusqu'à lui. D'un geste, il ordonna au minotaure de lâcher le jeune homme et de revenir près de lui. Soudain il se pencha en avant, la ain droite sur le coeur, et le corps droit. Ses longs cheveux blancs tombèrent les uns après les autres de ses épaules et se balancèrent longuement. Asgeir fit de même et ils se serrèrent la main.

- Je suis Thorvald, Prince de Brunhilde, et je requière les services de l'empire de Dagmar.

-Je suis Asgeir, Prince de Dagmar et je t'écoute.

A ces mots, ils s'assirent tous deux en même temps. Ryg'h, la mine dépitée, se posta debout derrière Asgeir et observa la scène d'un oeil à la fois curieux et incrédule.

-J'espère que notre petit différent d'hier soir n'entachera pas cette conversation.

Asgeir haussa les épaules et remit en place une mèche rebelle qui se promenait devant ses yeux.

-C'est déjà oublié... Que me veux-tu?

Ryg'h connaissait les protocoles des nombreux pays des états du nord par coeur, et il savait qu'Asgeir les maîtrisait tous avec perfection. S'il était le troisième enfant de la famille, c'est lui qui avait cependant obtenu de la nature toutes les qualités d'un excellent chef d'état. Ses frères ainés n'avait pas... Cette chose qui avait fait d'Asgeir le préféré de Ryg'h depuis sa plus tendre enfance. Le grand guerrier servait la maison impériale depuis son adolescence, il avait apprit à se battre aux cotés de l'empereur et l'avait suivit dans ses plus grandes victoires et ses plus douloureuses défaites. Il était rapidement devenu son meilleur ami, son plus fidèle guerrier puis le maître d'arme de ses enfants et enfin leur garde du corps lorsqu'ils devaient se déplacer.

Asgeir n'était pas censé rester en Brunhilde. Il devait rejoindre Genoveva pour y rencontrer le grand prêtre parmi les prêtres et recevoir la bénédiction d'Odin et rencontre l'Oracle qui lui annoncerait sa destinée. Ses deux frères aînés avaient déjà faits le voyage, et aucun des deux n'avaient été choisis pour devenir le futur empereur du pays. Ryg'h, peut être plus qu'Asgeir encore, espérait que cette fois ci, l'oracle le choisirait.

Thorvald esquissa un sourire avant de poser ses mains sur la table.

-Connais-tu la légende du Jörmungand?

-Tous les enfants de ce continent connaissent la légende du Jörmungand. En quoi cela t'intéresse t-il?

-Que dirais-tu de venir avec moi le chercher?

Asgeir haussa un sourcil, puis l'autre, puis se tourna en direction de Ryg'h. Ce dernier hochait la tête vivement de droite à gauche.

-On ne peut pas accepter. Chuchotta t-il à l'adresse d'Asgeir qui se sentait très intrigué par une telle demande.

-J'accepte!

Ryg'h étouffa un cri avant de finalement entrer dans la conversation.

-Non le Prince ne peut pas accepter, il a rendez vous avec l'Oracle!

Thorvald haussa les sourcils puis se mit à rire. Un rire franc et lumineux, à l'image de sa chevelure blanche et sybilline.

-Aesgir n'a pas encore rencontré Odin? Bien, dans ce cas retrouvons nous dans six lunes très précisément à la pointe de Dovrefjell. Je vous attendrais.





Ce fut un long voyage pour les deux hommes. Difficile dans le froid et l'hiver qui ne semblait jamais vouloir cesser, mais également très intéressant, peut être plus pour Ryg'h que pour Asgeir. Ils avaient rencontré le grand prêtre parmi les prêtres, qui avait donné sa bénédiction au jeune prince et l'avait consacré officiellement comme membre de la famille impériale devant les dieux, puis ils avaient enfin rencontré l'Oracle.

La vieille femme aux cheveux et aux yeux couleur de neige l'avait longuement observé, lui avait prit la main, une mèche de cheveux, un morceau de peau, un peu de sang... Et même son image par le biais d'une machine dont elle seule connaissait le secret. Elle était restée longtemps, seule, face à l'arbre sacré à contempler les étoiles et les autres signes de la nature, puis elle avait annoncé ce que Ryg'h attendait depuis si longtemps: Asgeir avait été choisi par les dieux pour devenir le futur empereur de Dagmar.

La tradition permettait à Ryg'h de poser une question et une seule à chaque fois qu'il rendait visite à l'Oracle accompagné d'un membre de la famille royale. La première fois, il était fort jeune alors, tout juste sortit de l'adolescence, il avait accompagné l'empereur, jeune prince de l'âge d'Asgeir alors, pour rencontrer cette vieille femme aux pouvoirs divins. Il lui avait alors demandé dans quels circonstances il mourrait... Erreur de jeunesse dont il se souvenait encore. Depuis lors, ses questions s'étaient cantonnées à des sujets moins graves: S'il resterait au service de l'empire jusqu'à la fin de sa vie, combien l'empereur aurait-il d'enfants, est-ce que sa soeur était toujours en vie...

Ryg'h s'approcha de la vieille femme et se pencha humblement sous le feuillage de l'arbre sacré. Attendant qu'elle lui réponde, il laissa son regard dériver le long des rides que formaient l'écorce le long du tronc.
-Assied toi.
La voix de l'Oracle était forte et pure comme celle d'une jeune femme. Mais bien peu d'hommes étaient encore capables de dire quel âge elle avait. Elle se leva et préleva comme à son habitude, tout ce qui lui était nécessaire pour pouvoir entrevoir la vie d'un homme. Elle connaissait bien Ryg'h, plus qu'il ne le pensait, et savait déjà ce qu'il allait lui demander avant même qu'il n'ouvre la bouche.
-Doit-on suivre le prince de Brunhilde dans sa quête étrange?
L'Oracle laissa passer quelques instants, le temps de lire autour d'elle les signes de tous les futurs possibles et de les corréler avec le présent déjà réalisé puis reposa la mèche blonde qu'elle avait coupé au grand guerrier.
-Les Dieux vous sont favorables, ils vous aideront.

Six lunes avaient passé et Ryg'h et Asgeir s'étaient rendus comme prévu à la pointe de Dovrefjell. Ils avaient attendus de longues heures dans le froid, emmitouflés dans leurs longues fourrures qui leur donnaient des carrures d'ours et des silhouettes de monstres avant de rencontrer le prince Thorvald qui s'étaient présenté à l'orée du jour. Les trois minotaures le suivaient, eux aussi fort protégés par de longues fourrures d'ours et de daims. Ils avaient caché le haut de leur tête ainsi que leurs longues oreilles sont de gros bonnets en renard de la même manière que leur prince.

Les deux petits groupes se rejoignirent et partirent se cacher dans un renflement granitique de la montagne qui les protégeait du vent, du froid, de la neige et des carnassiers, fort nombreux dans cette partie du continent. Enfin, ils purent parler à leur aise et s'entretenir sur les accords qui les liaient. Ce fut Thorvald qui commença.
-J'ai entendu dire que l'Oracle t'avais désigné comme digne successeur de ton père, je t'en félicite.
-Ce n'est pas moi qu'il faut féliciter, mais Odin qu'il faut remercier. Répondit Asgeir, plein d'humilité pour ces forces qu'il ne comprenait pas.
-Oui tu as raison. Remercions les Dieux et louons leur sagesse.
-Parlons du contrat et de la quête, Ryg'h semble assez confiant et impatient, il me tarde moi-même de quitter cet îlot de glace.
-Bien sur, bien sur... Voila. Comme vous le savez tous, la légende raconte l'histoire d'une fillette qui aurait rencontré et apprivoisé le Jörmungand. Elle dit même qu'elle vit avec lui depuis lors et qu'elle le protège de toute intrusion et toute attaque... Seulement, elle meurt tous les sept ans et renaît le jour suivant... D'après les oracles, nous devrions pouvoir nous approcher du Jörmungand et de son pouvoir suprême dans trois jours. Car dans trois jours, Edda ne sera plus.

Ryg'h acquiesça gravement et posa une main assurée sur l'épaule de son protégé. Asgeir avait parfaitement sa place dans cette quête, et si tout se passait comme prévu, il en retirerait un tel honneur et une telle renommée que le pays de Dagmar tout entier serait bénit par les Dieux durant son règne tout entier... Tuer le Jörmungand, s'octroyer son pouvoir, mais surtout libérer le continent de son joug! Quelle aubaine! Le vieux guerrier frissonnait d'avance d'un tel combat mais ce n'était pas de la peur... Oh non, il frissonnait d'excitation!

Le petit groupe, composé désormais de six membres aux atours princiers se dirigea donc plus au sud vers les vastes steppes brûlées par le soleil et balayées par les vents incessants qui descendaient des montagnes et remontaient du désert. C'était là que se cachait le Jörmungand, c'était là qu'il restait lorsque l'hiver, trop froid et trop puissant à l'ouest, l'empêchait de remonter se nourrir de cette chaire humaine qu'il adorait. L'étrange animal entrait alors en hibernation et laissait Edda s'occuper de sa tanière et de son réveil.

Lorsqu'ils arrivèrent en face de la grotte où dormait l'immense animal, ils retinrent leur souffle. L'endroit était grandiose. Cette immense falaise au milieu des steppes toujours infinies coupait le paysage en deux et le magnifiaient. Composée uniquement de schiste noir, elle brillait sous le soleil et se nimbait d'un halo vert lorsque l'astre roi était à son zenith. La végétation rachitique et quasiment inexistante des plaines laissait soudainement la place à une exaltante vie qui dégringolait en cascades colorées le long des parois et formaient des rideaux de fleurs et de lianes sur les escarpements et le sol jonché de cadavres.

Au dessus et autour de l'entrée avaient été gravés des runes et des dessins relatant des guerres passées et oubliées, souvenirs de temps lointains où régnaient des civilisations alors richissimes mais aujourd'hui éteintes.
Ryg'h resta un long moment à observer les gravures au dessus de l'entrée la bouche grande ouverte. Il appréciait l'art au plus haut point et le voyait toujours comme une sorte de don mystique qui permettait à son détenteur de converser avec les Dieux. Asgeir resta aussi sans voix devant la taille de la taverne. Il grommela quelque chose dans sa barbe avant de porter une main sur son épée, l'air peu rassuré.

-Êtes-vous vraiment sur qu'Edda n'est plus jusqu'à demain?
-Les oracles le sont eux. Répondit Thorvald.
-Et les Dieux sont avec nous. Ajouta Ryg'h.
-Bien...
Le jeune prince dégaina son épée et invita ses compagnons à le suivre dans la tanière du monstre. A l'entrée succédait un immense couloir en diamants qui brillaient d'une lueur surnaturelle et qui leur permettait de voir comme en plein jour. Le couloir se prolongea sur plusieurs centaines de mètres avant de se séparer en deux directions. La première, sombre et obscure charriait des odeurs de mort et de cadavre qui firent rapidement obliquer le petit groupe en direction de la deuxième ouverture, illuminée comme le couloir de milliers de diamants luminescents.

Ils avancèrent ainsi dans un dédale de couloirs pendant plusieurs heures avant de tomber sur une immense salle dont le plafond s'élevait si haut qu'il donnait sur le ciel. De nombreuses plantes traversaient les fissures et les trous de la coupole et cascadaient sur les murs brillants comme de longs serpents colorés. Tous les murs étaient ornés de fresques semblables à celles de l'entrée... Un immense trône avait été sculpté au fond sur le mur même de l'immense salle et supportait le Jörmungand lui même.

Asgeir s'arrêta, abasourdi. L'animal était encore plus grand qu'il ne l'imaginait. Thorvald, Ryg'h, ainsi que les trois minotaures l'imitèrent et restèrent un long moment bouche bée devant l'immense dragon qui dormait face à eux, la queue dans la gueule comme sur le tatouage d'Asgeir et de Ryg'h. Asgeir se reprit rapidement.
-Il faut s'occuper de lui maintenant. Nous ne savons pas depuis combien de temps nous sommes ici, et Edda pourrait revenir d'une minute à l'autre... Dit-il.
Thorvald acquiesça et lui répondit:
-Oui... Le tuer d'un pieu dans le coeur avant de le décapiter et de boire son sang à la source... C'est de là que provient le pouvoir!
-Comment va t-on faire? Sa peau semble une cuirasse bien plus résistante que nos propres armures, et monter jusqu'à lui me semble une tache bien ardue... Il faut s'organiser! Ryg'h, tu vas nous aider à monter, moi et Thorvald, puis avec les minotaures, vous vous assurerez de la venue d'Edda, j'ai un mauvais pressentiment.
Tout le monde acquiesça et s'exécuta sur le champ. La pièce se révéla plus longue que prévu et ils atteignirent le trône au bout de longues minutes pendant lesquelles ils virent l'animal grossir encore et encore tandis qu'ils s'en approchaient.

Le Jörmungand était aussi grand qu'une maison et certainement trois fois plus long. Les deux princes parvinrent à monter jusque sur le siège du trône. La peau de l'animal était aussi dure qu'ils ne le pensaient et il devenait évident que leurs épées étaient bien trop petites pour tenter quoi que ce soit.
-Les Dieux sont avec nous, tentons de lui bouger les pattes pour atteindre le coeur par cet endroit généralement plus sensible.
Les deux hommes s'executèrent alors. Il leur fallut beaucoup de force et de conviction pour pousser ces immenses membres qui pesaient à eux seuls vingt fois leur poids. Lorsque ce fut fait, ils s'assurèrent que le Jörmungand dormait toujours et que la peau au niveau des cotes était effectivement plus sensible.

Asgeir tira son épée de son fourreau et la souleva bien haut pour porter le coup de grâce. Lorsqu'elle mordit les chaires les unes après les autres, le sang gicla avec une intensité telle qu'il manqua de projeter les deux hommes par dessus l'immense trône. Au même moment, le Jörmungand s'agita et commença à se débattre dans tous les sens. Thorvald, accroché à Asgeir, faisait tout son possible pour ne pas se faire éjecter par les secousses de plus en plus fortes. Il plongea lui aussi son épée dans la poitrine de l'animal et la fit tourner pour agrandir le trou qu'avait formé Asgeir. Plus cela allait, et plus le sang coulait, épais et chaud. Les deux hommes pataugeaient dans une marre de sang jusqu'aux hanches lorsqu'un cri inhumain s'éleva dans la pièce.

Asgeir se retourna par reflex et entrevit une forme verte et brune qui se dirigeait vers eux. Ce court moment de déconcentration accompagné d'une forte secousse de l'animal qui venait de se réveiller et hurlait de terreur, les yeux furibonds et l'écume à la gueule, le projeta en bas du trône et le laissa un moment sans pouvoir bouger ni bras ni jambe. La respiration coupé, le jeune homme vit autour de lui Thorvald se battre dans le sang du Jörmungand, Ryg'h se faire dévorer par une jeune femme aux longs cheveux bruns et les minotaures trancher le cou de l'immense animal comme s'il s'agissait d'un porc. Le sang gicla de toute part, inonda la pièce d'une façon surprenante et se déversa sur tous les hommes qui s'y battaient.

Mu par un instinct de survie, le jeune prince porta le liquide vermeille qui coulait jusqu'à lui à ses lèvres. Un gout de fer cuivré et de victoire inonda soudainement sa bouche et une énergie nouvelle irradia de son ventre jusque dans tous ses membres. Le jeune prince se releva, soudainement ragaillardi et s'élança en direction de la furie qui continuait de dévorer la main de Ryg'h qui hurlait à la mort en essayant de se défaire de l'emprise de ce démon. Asgeir n'avait plus d'épée. Il attrapa alors celle de son garde du corps et se jeta sur la créature. La jeune femme se tourna dans sa direction et lâcha la main de Ryg'h. Elle était vive, très vive, et le sang du Jörmungand semblait lui avoir conféré à elle aussi une nouvelle énergie.

Lorsque l'immense animal poussa son dernier soupir, elle hurla dans une langue inconnue et se jeta sur Asgeir sans lui laisser la moindre chance d'esquiver. Ses gents étaient pointues, accommodées à la viande crue et ferme, ses mâchoires étaient fortes, ses bras et ses jambes graciles parfaits pour enserrer le torse du jeune homme qui se laissa tomber en arrière pour essayer de se défaire de l'emprise d'Edda.
Ils roulèrent ainsi dans le sang et la terre sur plusieurs mètres. La jeune femme lui mordit l'oreille et tenta de lui arracher, mais Asgeir se tourna violemment et lui cogna fortement la tête contre le sol. Quelque peu étourdie, la créature relâcha un instant son étreinte, ce qui permit au jeune homme de s'en défaire par de grands coups de reins et de plonger son épée dans sa poitrine.

Edda hurla, encore et encore, les yeux exorbités, elle tenta d'attraper le jeune prince avec ses longues mains mais ne parvint qu'à le griffer. Elle se débattit ainsi pendant de longues minutes, mais son corps tout entier était maintenu au sol par la morsure de l'épée qui l'attaquait à chacun de ses gestes. Finalement, et aussi soudainement qu'elle était apparue, elle se tue et disparue.
Asgeir se laissa retomber sur le sol et s'aspergea la tête de sang avant de se relever et d'hurler de joie. Thorvald descendu du trône et reput de sang le rejoignit et lui rendit son épée. Ryg'h, dont les deux mains étaient miraculeusement redevenues entières se releva et le rejoignit à son tour. Seul un des minotaures était tombé.

-Remercions les Dieux et faisons de cette victoire leur victoire! Offrons leur le sang magique du Jörmungand en échange du règne victorieux de nos deux maisons!
Les yeux de Thorvald brillaient d'une lueur nouvelle et se tintaient doucement de rouge. Ils venaient de tuer le Jörmungand.